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Syndrome du sauveur: comment se libérer du besoin maladif d’aider les autres?

Syndrome du sauveur:

comment se libérer du besoin maladif d’aider les autres?

 

Certaines personnes vivent dans un esprit de sacrifice permanent, forçant souvent l’admiration de leur entourage. Que cache ce besoin que les autres aient besoin de nous?

« J’ai l’impression de faire tout pour tout le monde, sans jamais recevoir en retour ». Cette petite phrase, nombreux sont les psychologues à l’entendre, tant ce qu’ils appellent le « syndrome du sauveur » est une cause fréquente de consultation.

« C’est l’histoire de ma vie, confie ainsi Sandra. J’en suis aujourd’hui libérée, explique la jeune femme, « mais il m’a fallu une longue remise en question pour cesser de tomber amoureuse d’hommes mal en point, alcooliques ou dépressifs, que je m’acharnais à vouloir remettre sur pied, sans bien sûr jamais y parvenir. »

Comment expliquer que pour certaines personnes comme Sandra, les relations se construisent toujours sur ce modèle de l’aidant et de l’aidé, sans que les rôles ne s’inversent jamais? D’où vient cette faculté à n’être attiré que par des partenaires, amis, collègues, qui ne vont pas bien? Où se trouve la frontière entre la générosité, qualité ô combien admirable et l’abnégation pathologique?

 

« Un besoin que l’autre ait besoin de nous »

« Ce syndrôme du sauveur est également appelé la codépendance, explique Emmanuelle Lacroix, psychothérapeute spécialisée notamment dans le traitement des addictions. C’est, pour résumer, le besoin que l’autre ait besoin de nous. »

« Cela devient pathologique lorsque ce besoin conditionne la relation. Autrement dit, lorsqu’on choisit l’autre parce qu’on y voit la possibilité de le sauver », ajoute Laura Gélin, psychanalyste. Et d’ajouter: « dès qu’il y a un sentiment de ‘dette’, c’est que la relation n’est pas saine ». « La codépendance, c’est aussi la copine qui est ravie quand on l’appelle pour lui dire que ça va pas parce qu’elle va pouvoir vous aider et vous soulager », cite en exemple Emmanuelle Lacroix.

 

Souvent, les « sauveurs » ont été, enfant, parent de leur parent

Les causes d’un tel comportement remontent la plupart du temps à la petite enfance, s’accordent à dire les deux thérapeutes. « C’est un schéma que l’on répète inlassablement, souvent parce qu’on a été mis très, trop tôt, en position de sauveur, qu’il s’agisse de ses parents, d’un frère ou d’une soeur, etc », analyse Laura Gélin. « Cela vient souvent d’une famille où l’enfant a été le parent de son parent (une mère dépressive, un parent handicapé, une fratrie de six où l’on est l’aîné…). Ou de familles où il y a un parent addict. Ou de familles où l’on voit son parent se ‘sacrifier’ pour l’autre ou un frère ou une soeur… », ajoute Emmanuelle Lacroix.

« Il peut aussi s’agir de personnes hyper sensibles, qui ne se sentent aimées qu’en prenant soin de l’autre. Sauf qu’au bout d’un moment, les sauveurs se perdent, ne s’occupent pas du tout d’eux-mêmes et sont des cocotes minutes d’agressivité et de frustration. Ils ne savent pas exprimer leur besoin et en veulent à l’autre. »

Des relations vouées à devenir toxiques

« J’ai grandi entourée d’un frère bien plus âgé qui se droguait et d’un père qui buvait. Dès ma naissance, je me suis probablement sentie investie d’une mission, que je n’ai pas pu mener à bien, évidemment, parce que le propre, la plupart du temps, des personnes dépendantes, c’est qu’ils ne veulent pas être sauvées. J’ai rempli un panier percé pendant des années et j’ai ensuite continué avec mon mari », raconte ainsi Sandra.

« Le problème de ce type de scénario, c’est qu’il est en effet la plupart du temps voué à l’échec, constate Laura Gélin. La relation devient forcément toxique. Si on parvient vraiment à sauver l’autre, du coup, cela ne marche plus puisqu’on a besoin d’être un recours permanent. Et si l’on n’y arrive pas, on s’épuise ».

 

« Je me sentais obligée d’être la psy de tout le monde »

Cette position intenable, Camille l’a expérimentée: « Je n’avais pas nécessairement l’impression de le chercher mais les gens autour de moi se confiaient très facilement à moi. C’était très lourd à porter, car je me sentais toujours obligée d’être la psy de tout le monde, de devoir « sauver » autour de moi. J’ai eu un « électrochoc » quand dans la même semaine une collègue et une étudiante (je suis prof) m’ont confié dans la même semaine qu’elles avaient été violées… Ces confidences, il faut pouvoir les accueillir. »

« Avec la maturité et une psychanalyse de 20 ans », Camille a réussi à se distancier pour mieux « aider » si nécessaire, « et surtout ne pas exister qu’à travers le « support » que l’on peut apporter à ses proches. » « J’ai renégocié mes rapports aux autres, même si je suis depuis tout petite ‘la mère’ de mes parents, et que l’âge et la maladie font que mes parents me placeront toujours dans la position de ‘sauveuse' »

 

Sauver les autres pour satisfaire un besoin de reconnaissance

« Pour sortir de ce cercle infernal, il faut parvenir à identifier le scénario originel que l’on reproduit inconsciemment », confirme Laura Gélin. Il est également nécessaire de se remettre en question et d’admettre que cette propension à vouloir sans cesse aider et soutenir son entourage ne relève pas que de la pure empathie ou générosité. Ne vivre qu’en fonction du besoin qu’ont les autres de nous peut en effet trahir « une volonté de toute puissance », explique Laura Gélin.

Sur le plan narcissique, se sentir indispensable au mieux-être de ses proches est très valorisant et peut satisfaire un désir de reconnaissance. Personne ne se sacrifie par pure abnégation, « pour » les autres. On attend forcément quelque chose, des remerciementsqui ne viennent en général jamais, pour la bonne raison d’ailleurs que souvent, l’autre n’a pas demandé ce sacrifice.

 

Identifier ses propres besoins

Il faut également, pour briser ce schéma, travailler sur ses propres besoins et son incapacité à recevoir, souligne Laura Gélin. Les personnes atteintes de ce syndrome du sauveur choisissant par ailleurs souvent des conjoints souffrant d’addictions, Emmanuelle Lacroix conseille également, lorsque c’est le cas, de se rapprocher d’associations comme AL-ANON, un groupe d’entre-aide pour les proches d’addicts.

« Bien entendu le partenaire en face ne sera pas ravi des changements de celui qui jusque là se consacrait uniquement à son salut, mais c’est essentiel pour la survie du sauveur. Sans quoi ce dernier peut finir par somatiser, déprimer ou faire des crises d’angoisse, voire basculer dans la consommation ». « Car à force de ne pas prendre soin de soi, le corps ne peut plus tenir. »

« On ne peut s’en sortir qu’en faisant le deuil de ceux que l’on n’a pas pu sauver enfant », résume Laura Gélin. « Lâcher ce fantasme de toute puissance, accepter l’idée de ce qu’on a pas reçu, de ce statut d’enfant qu’on ne nous a pas accordé ». Cela implique aussi, conclut-elle, de ne plus rêver de changer l’autre et d’avoir un peu plus d’estime de soi, de se convaincre que l’on mérite soi même d’être aimé et d’être un objet d’attention.

 

Source: L’Express