Tous pervers narcissiques ? Soyons sérieux !
De par cette vulgarisation outrancière, de nos jours, on a tendance à poser beaucoup trop vite l’étiquette diagnostique « PN » ou Pervers Narcissique au moindre dérapage verbal au travail, en famille ou dans le couple !
Non, ce n’est pas parce qu’un homme ou une femme n’a pas appris à communiquer sans jugement, sans dénigrement ou sans culpabilisation qu’il ou elle est pour autant un pervers, au sens pathologique du terme.
Les vrais pervers existent bien sûr mais ne représentent fort heureusement qu’une faible minorité dans les psychopathologies contemporaines.
Une clarification théorique s’impose !
En psychopathologie de la personnalité, nous distinguons trois grandes structures de personnalité ;
1. Les névroses
La majorité d’entre-nous s’y retrouve. Les névroses regroupent les troubles psychiques les plus communs de la personnalité : l’hypocondrie, les phobies, les troubles obsessionnels, l’hystérie, le perfectionnisme, la névrose d’échec,…
Ce sont nos petites maladies du quotidien que l’on aimerait changer mais que l’on répète inconsciemment sans arriver vraiment à les contrôler. Les névrosés ne perdent pas le contact avec la réalité dans laquelle ils restent bien ancrés.
Modérées, les névroses ne nous empêchent pas de vivre en harmonie au quotidien, avec soi-même et avec les autres.
2. Les psychoses
Ces troubles de la personnalité sont graves dans le sens où le sujet perd le contact avec la perception commune de la réalité. Les perceptions psychotiques sont en décalage par rapport à la majorité des autres humains. La psychose mène le plus souvent à des constructions délirantes : hallucinations visuelles ou auditives (entendre des voix), dédoublement de la personnalité, attribution de missions délirantes, angoisses de persécution,…
Il existe trois grandes familles de psychoses :
– la schizophrénie
Schizophrénie vient du grec skizein : fendre et de phren : pensée. Elle se caractérise par des signes de dissociation mentale, de discordance affective et d’activité délirante incohérente, entraînant généralement une rupture de contact avec le monde extérieur et parfois un repli autistique.
« Le détachement et l’étrangeté des sentiments sont en rapports étroits, dans la structure schizophrénique, avec l’aspect particulièrement archaïque d’un univers fantasmatique aussi luxuriant que profondément régressif (Bergeret, 2004) »
– la paranoïa
Étymologiquement, paranoïa vient de « para-nous » qui signifie littéralement : « l’esprit tourné contre. » Animé de sentiments de persécution récurrents, le paranoïaque est dévoré par l’angoisse et peut devenir violent pour se protéger. Le hasard, la surprise et l’imprévu lui sont intolérables.
– la maniaco-dépression ou les troubles bipolaires
La mélancolie est un versant grave de la dépression. Elle s’inscrit dans la Psychose Maniaco-Dépressive. C’est alors l’opposé de la manie.
La mélancolie représente la phase d’humeur triste et de sentiments dépressifs d’une affection mentale caractérisée par l’alternance d’accès mélancoliques et d’accès maniaques. Ces accès aigus sont séparés par un intervalle au cours duquel le sujet vit « normalement », en parfaite relation avec son entourage, sans souffrance majeure.
3. Les perversions
Dans la structure perverse, on distingue essentiellement ;
– les pervers sexuels : abuseurs, violeurs, pédophiles qui utilisent l’autre comme objet sexuel.
– les psychopathes : ils se caractérisent par la non-intériorisation de la « loi », un surmoi défaillant et des passages à l’acte violents pouvant conduire jusqu’au meurtre
– les pervers narcissiques : le terme de « perversion narcissique » a été utilisé la première fois en 1986, dans un ouvrage du psychanalyste français Paul-Claude Racamier. D’autres auteurs ont depuis repris et étayé ce terme pour décrire une psychopathologie reposant sur la manipulation mentale. Elle permet à un individu d’exercer une emprise sur un autre.
Dans sa théorie, Freud écrit que l’enfant traverse une phase où il est « un petit pervers polymorphe ». Durant celle-ci, il active « les bons boutons » d’angoisse chez ses parents pour obtenir la satisfaction des désirs. Dans ce sens Freudien, il « utilise » l’autre comme un objet pour sa jouissance. Boris Cyrunick décrit le pervers adulte comme un petit pervers polymorphe qui n’a pas grandit.
Voici le profil d’un pervers ;
– Il est tyrannique et il utilise l’autre consciemment ou inconsciemment comme un objet. Il ne le respecte pas comme un sujet. Il est comme un « Enfant-Roi » immature qui n’a pas évolué et qui recherche les rapports de force.
– Enclavé dans son ego, il n’a pas développé de capacité d’empathie ; il ne peut pas se mettre à la place de l’autre et ressentir ce qu’il vit émotionnellement.
– Il n’a pas intégré le sentiment de culpabilité qui devrait lui permettre de savoir distinguer le bien du mal et donc mettre un frein à certains de ses comportements destructeurs. Il est donc dénué de remords.
– Véritable « terroriste de l’âme », il recherche à dominer et à soumettre l’autre. Son quotidien est rempli de dévalorisations, de dénigrements et de culpabilisations de l’autre. Pour exister et assouvir sa jouissance – susciter l’angoisse de l’autre – il va bien évidemment se tourner vers des personnalités fragiles ou victimes. Il « pratique » dans l’intimité de la relation, à l’abri du regard des autres.
– Ses failles narcissiques l’obligent à fabriquer un « faux-self » et à élaborer des jeux de séduction. Il est souvent apprécié en société. Soucieux de son image sociale et assoiffé de reconnaissance, sa pathologie passe le plus souvent inaperçue.
– Souvent intelligent, il est doté de grandes capacités manipulatrices particulièrement insidieuses. Champion de l’injonction, il induit chez l’autre certains sentiments négatifs, certaines croyances bloquantes ou certains actes.
Poser un tel diagnostic demande que les professionnels analysent avec soin ;
– la dynamique relationnelle (il existe des couples « sado-maso » psychiques)
– la fréquence des comportements maltraitants
– leur intensité
– la répétition de ce schéma à travers plusieurs relations
Il est grand temps aussi de rétablir une vérité clinique ; la perversion narcissique n’est pas l’apanage exclusif des hommes, des femmes aussi présentent ce même profil clinique et cette même structure de personnalité destructrice et hautement toxique.
Enfin, pour terminer, rien ni personne n’est incurable. A cet égard, j’ai déjà travaillé avec des patients pervers narcissiques qui un jour ont pris conscience de l’anormalité de leur rapport destructeur à l’autre. Il est faux de dire qu’ils sont incapables d’amour. Ils aiment mais ils aiment « mal ». Souvent d’ailleurs, ils arrivent en consultation, en souffrance, parce qu’ils sont sur le point d’être quittés et là le rôle du psychothérapeute devient essentiel pour les « (ré)éduquer » socialement, les amener sur le chemin de l’empathie et de la conscience de l’autre.
Source : Psy.be – Dimitri Haikin – Psychologue clinicien/Psychothérapeute