Tout à la satisfaction de leurs désirs, certains ne supportent pas d’attendre. Dans leur monde idéal, il n’existe ni faille ni délai et, au moindre temps mort, ils partent voir ailleurs. Pourquoi cette avidité ? Et comment calmer le jeu ?
Les files d’attente, les étapes franchies pas à pas… très peu pour eux. Il faut que ça bouge, que ça vienne tout de suite. Sans quoi les portes claquent et ils vont chercher mieux ailleurs : un interlocuteur plus compétent, un poste plus qualifié, un amant plus prévenant. « C’est l’une des grandes pathologies actuelles : l’exigence de plaisir immédiat, explique le psychologue Didier Pleux. La réalité doit obéir à mes désirs et à mes pulsions. » Cette exigence leur confère des allures de battants : ils sont rapides, efficaces, prompts à la décision. Mais elle est aussi source d’angoisse : tendus vers leur objectif, ils sont en permanence insatisfaits, frustrés et tourmentés. « Leur souffrance est physique, prévient la psychothérapeute Catherine Aimelet-Périssol. Ils n’arrivent pas à dominer leur système émotionnel. Leur cerveau leur envoie des signaux d’urgence. Il leur faut alors obtenir immédiatement satisfaction. »
Un perfectionnisme infantile
Derrière cette impatience se cache une intolérance à la durée (« C’est pour aujourd’hui ou pour demain ? »), à l’approximation (« C’est oui ou c’est non ? »), à la médiocrité (« Soit tu le fais bien, soit tu ne le fais pas »). Elle est le fait de certains perfectionnistes, qui croient devoir obtenir le meilleur en toute chose. Une enfance trop choyée est parfois à l’origine de leurs difficultés : « Quand les parents satisfont systématiquement les désirs de l’enfant, analyse Didier Pleux, il grandit dans l’idée que le monde va lui obéir. Le jour où, adulte, il rencontre son premier obstacle, c’est le drame. »
Un manque existentiel
Pour d’autres, « cette exigence de “tout, tout de suite” est la crainte d’un “plus jamais rien”, affirme Catherine Aimelet-Périssol. Ils brassent l’air pour se donner un instant l’illusion d’avoir comblé un manque existentiel. Puisque l’attente laisse place au vide, il faut le remplir, et vite ». Prouver que l’on est le meilleur, par ses possessions, par ses réalisations. Le quotidien, l’ennui, contre lesquels nous apprenons à nous armer de patience, donnent à certains « l’impression que l’air se raréfie, poursuit Catherine Aimelet-Périssol. Toutes ces sensations qui s’en vont, c’est la vie qui s’en va aussi ». Vouloir toujours plus, c’est plus de vie, comme un antidote à la mort.
Une illusion de contrôle
L’exigence et l’impatience sont le signe d’un manque de confiance, en soi et dans la vie. On croit devoir faire advenir les choses par peur que rien de bon n’arrive. « Lorsqu’un chat tombe, il sait qu’il va atterrir sur ses pattes, donc il ne s’affole pas », sourit François Roustang. Une manière de dire que les choses arrivent et qu’il ne sert à rien de vouloir les précipiter. Il faut aussi « savoir attendre pour que la vie change », assure le thérapeute, et savourer de vivre, simplement vivre.
Conseils de thérapeutes
François Roustang, hypnothérapeute : « Réapprenez à respirer. Prenez le temps de digérer l’échec avant de vous jeter sur un autre objet de désir. Au propre comme au figuré, vous devez retrouver votre assise. Une fois recentré sur vous-même, vous vous situez différemment : dans l’espace et, symboliquement, par rapport à votre désir et à vos frustrations. »
Catherine Aimelet-Périssol, psychothérapeute : « Observez ce qui se passe en vous quand l’attente devient insupportable. L’angoisse, le stress et l’irritation montent, ce qui n’est pas très agréable. Mesurez-en également les conséquences : vous êtes désagréable avec vos proches, vous ne trouvez pas le sommeil… Seul cet effort de lucidité peut vous donner réellement envie d’apprendre la patience. »
Leurs solutions
Coralie, 43 ans
« J’apprends à ne plus remplir les “trous” de mon agenda. Au bureau, je bossais comme une dingue, j’obtenais des résultats, j’ai vite grimpé les échelons. Et puis, la machine s’est enrayée. Mes collègues se sont plaints de mes exigences. La DRH m’a conseillé de prendre des vacances. Tout à coup, les pages de mon agenda étaient désespérément blanches. Avec ma psy, j’ai appris à ne plus les noircir : ne noter que l’essentiel, et laisser vide le reste. Ces “trous”, c’est autant de temps et d’espace pour laisser venir les choses. »
Sylvaine, 30 ans
« Je laisse passer vingt-quatre heures avant d’agir. Cette technique m’a permis de calmer ma tendance à consommer sans réfléchir et à me surcharger de travail. J’étais du genre à me créer des besoins qu’il fallait absolument que j’assouvisse : un vêtement, un sac, mais aussi un projet professionnel… Maintenant, dès qu’une envie de ce genre me traverse l’esprit, je m’oblige à attendre une journée, pour y repenser, vérifier si j’en ai vraiment besoin. Et, la plupart du temps, je me rends compte que non ! »