Psy Paris 16

Qui peut-être victime d’un stress post-traumatique ?

stress post-traumatique

La question que tout le monde se pose un jour ou l’autre : tout le monde peut-il être victime d’un stress post-traumatique ?

Le spécialiste qui y répond sur la base de la psychologie scientifique :

Bernard Israël Feldman qui est psychanalyste, docteur en psychologie et en victimologie clinique. Il est membre du Comité Exécutif de la Société Israélienne de Psychologie (en charge des relations internationales). Il est aussi responsable en Israël du programme Unitwin (Unesco) d’enseignement sur la Violence, en liaison avec l’université de Tel-Aviv, et chargé de cours à l’Université Paris V, pour les diplômes universitaires de psycho-traumatologie et de victimologie. Il est également chargé des relations entre la France et Israël dans l’Association Francoisraélienne de Victimologie de l’Enfant et de sa Famille et membre de la « World Society of Victimology ».

 

La réponse fournie par l’auteur :

Définissons quelques notions : L’expression « état de stress post-traumatique » est utilisée en psycho-traumatologie et en victimologie.

Qu’est-ce que la victimologie ?

La victimologie, c’est l’étude du comportement des victimes, et de leur prise en charge. C’est une discipline multidisciplinaire en pleine croissance, qui regroupe le Droit, la Sociologie, la Psychologie, la Médecine, l’Histoire et la Criminologie. Une victime est une personne dont le traumatisme subi a été reconnu par le corps social. Les victimes sont de toutes sortes : victimes d’accidents, victimes dans les sociétés où elles vivent (agressions diverses dont sexuelles), victimes des Etats et de leurs représentants (guerres – attentats – esclavage – massacres de masse – génocides). La victimologie est centrée sur l’étude des prédispositions d’une personne, ou d’un groupe, ou bien d’un peuple, à tenir le rôle de victime, avec comme souci d’améliorer le sort de cette dernière; en offrant aide juridique et médico-psychologique, appui social, recherche historique, exigence de dédommagements, pour alléger ses souffrances. On parle de processus de victimation (ou victimisation), lorsqu’on étudie le phénomène qui aboutit à rendre des personnes, ou un groupe, ou encore un peuple, victimes d’agressions criminelles. C’est B. Mendelssohn, en 1948, aux USA, qui annonça la fondation de cette nouvelle discipline, et qui la dénomma « Victimologie ».

 

Qu’est-ce que la psycho-traumatologie ?

La psycho-traumatologie est uniquement une discipline médico-psychologique (à la différence de la victimologie), et elle s’intéresse à la clinique du trauma, lorsqu’un sujet, confronté à la mort ou à un risque de détérioration physique (comme dans les agressions sexuelles), développe des troubles pathologiques consécutifs à un événement traumatique grave, reconnu par le corps social. En psycho-traumatologie, on soigne les personnes qui ont été mises en état de vulnérabilité, et cela relève de la santé publique.

 

Qu’est-ce que l’Etat de stress post-traumatique (ESPT) (plus connu sous la dénomination anglo-saxonne de Société Française de Psychologie www.sfpsy.org 2 « Post-Traumatic Stress Disorders » (PTSD) ?

C’est un état qui survient chez un sujet qui a été exposé, en tant que témoin, ou en tant que personne confrontée directement, à des événements où des individus ont pu mourir ou être gravement blessés, ou bien ont été menacées de mort ou de grave blessure, ou encore durant lesquels son intégrité physique ou celle d’autrui a pu être menacée (comme dans les agressions sexuelles). Le plus souvent, la réaction du sujet s’est traduite par une peur intense, un sentiment d’impuissance et/ou d’horreur. L’ESPT est un syndrome qui se traduit par un certain nombre de symptômes.

Revécu du traumatisme :

-souvenirs répétitifs et envahissants de l’événement, ce qui entraîne un sentiment de détresse où se mêlent des images, des pensées et des perceptions nocives ;

-rêves répétitifs et effrayants (cauchemars) de l’évènement traumatique ;

-impression que l’événement traumatique ne peut que se reproduire, ce qui entraîne des illusions, des hallucinations, des événements dissociatifs et le risque de se retrouver en position de victime (processus de survictimisation) ;

-intense détresse lorsque le sujet est exposé à des indices qui évoquent l’événement traumatisant (bruits, odeurs, vision d’un objet ou d’une personne, etc.) ;

-problèmes somatiques, physiologiques, surtout lorsque le sujet est confronté à ces indices.

Comportements d’évitement :

-efforts permanents pour éviter les pensées, sentiments et conversations associés à l’événement, les activités, les endroits, les personnes, qui réveillent le traumatisme ;

-incapacité de se remémorer les aspects importants du traumatisme (amnésie sélective) ; -baisse nette de l’intérêt pour des activités autrefois appréciées par le sujet ;

-sentiment de détachement d’autrui, de devenir un « étranger » ;

-incapacité d’éprouver des affects, des sentiments tendres ; -sentiment que l’avenir est bouché, sans espoir.

Symptômes ne préexistant pas au traumatisme, tels que :

-difficultés d’endormissement et/ou sommeil interrompu ;

-irritabilité, colères ;

-difficultés de concentration ;

-hyper vigilance ;

-réactions de sursaut exagérées.

Durée :

-les perturbations décrites plus haut durent plus d’un mois.

Fonctionnement social :

-le fonctionnement social est perturbé ;

-les activités professionnelles ou dans les études sont très perturbées.

Nature du syndrome :

-ESPT aigu : durée de moins de trois mois ;

-chronique : durée de trois mois et plus ;

-différé : survient au moins six mois après l’événement (parfois 20 ans après ou davantage …).

Les traumatismes sont plus que des problèmes psychologiques, car ils atteignent souvent le corps social. Des familles entières peuvent être décimées, des populations peuvent migrer à cause de l’événement, des maladies peuvent menacer les groupes humains comme résultat des atteintes, intentionnelles ou non. L’ESPT, pendant longtemps, n’était pas pris en charge, alors que la douleur psychique décrite précédemment a pu compliquer et menacer la vie de générations entières. Tout le monde peut-il être victime d’un ESPT ? L’âge, le sexe, la personnalité des victimes, l’origine de l’événement traumatisant, intentionnel (comme dans les agressions sexuelles ou autres, les guerres, les massacres de masse, les génocides) ou non (comme dans les bouleversements climatiques, les accidents de la route ou Société Française de Psychologie www.sfpsy.org 3 de toutes sortes), l’appartenance à des groupes sociaux « cibles » (peuples, groupes humains, dont l’histoire a été parsemée d’agressions, tels que les Juifs, les Noirs dont les ancêtres ont été déportés en esclavage, les Arméniens, etc.) sont des facteurs qui interviennent dans l’établissement de l’état de stress post-traumatique. Certains sujets vont développer un ESPT plus facilement, car ils ont des caractéristiques psychologiques qui font d’eux des « cibles potentielles ». D’autres seront plus aptes à se tirer indemnes d’une situation génératrice de traumatismes, ou seront « résilients », c’est-à-dire qu’ils récupèreront facilement et seuls leur équilibre psychologique (néanmoins, il faudra tenir compte de la possibilité de survenue différée d’un ESPT…). Des études ont été menées sur des populations d’enfants victimes de guerre, telles que les « enfants juifs cachés » (pendant la deuxième guerre mondiale), ou les enfants juifs israéliens et palestiniens, lors du conflit récent de la « deuxième Intifada Al Aksa » (Feldman, 2006).

Ces études ont montré que l’enfant, soumis à un traumatisme grave, est susceptible de développer un ESPT beaucoup plus facilement qu’un adulte, car il est fragile, manipulable, et parce que sa personnalité est en formation; le syndrome se manifeste par de l’insomnie, un état dépressif, des comportements d’automutilation, une addiction à l’alcool ou à la drogue, des comportements agressifs et antisociaux, de délinquance, un dysfonctionnement sexuel. Pour que ces petites victimes puissent guérir de leur plaies psychologiques, il faut non seulement des soins psychiatriques et de psychothérapie, mais aussi une prise en charge sociale, car l’enfant est très dépendant de sa famille, elle-même étant en liaison avec la société. De plus, ces études ont montré que l’âge de l’enfant joue un rôle important. Contrairement aux idées reçues, le bébé peut être marqué à vie si le traumatisme intervient pendant la période de l’angoisse de séparation et de la peur de l’étranger (de six à huit mois jusqu’à douze à quatorze mois environ). Enfin, la relation antérieure de l’enfant avec son milieu familial est aussi déterminante pour la survenue d’un ESPT : plus les relations ont été mauvaises, plus le risque de développer le syndrome est grand.

Par ailleurs, trois chercheurs israéliens, un psychiatre et deux psychologues (Bleich A., Gelkopf M., Solomon Z., 2003) ont entrepris une recherche concernant l’impact des attentatssuicides sur un échantillon représentatif de la population israélienne, depuis septembre 2000 (début de l’Intifada Al-Aksa), et ce pendant 19 mois. Ils ont établi une comparaison avec des travaux effectués par des collègues dans d’autres sociétés de type occidental (aux USA après le 11 septembre 2001, et en Grande-Bretagne pendant la deuxième guerre mondiale, lors du « Blitz », le bombardement massif imposé par les nazis). L’étude israélienne a été entreprise sur 902 personnes âgées de plus de 18 ans. Les résultats ont montré que 9% ont présenté le syndrome de l’ESPT, alors que le syndrome était présent chez 33% des américains, deux ans après l’attentat du 11 septembre 2001. Les chercheurs ont montré que cette différence provenait du fait que le soutien par les proches et par l’ensemble de la société était plus important en Israël qu’aux USA. Pour ce qui est de la Grande-Bretagne, le soutien familial et social pendant le « Blitz » a également été très efficace, ce qui explique qu’Hitler n’a pas réussi à briser le moral de la population britannique. La recherche israélienne a également indiqué que dans l’ensemble, les femmes ont présenté plus de symptômes de l’ESPT, avec prise de tranquillisants, d’alcool et de cigarettes ; elles ont aussi beaucoup plus exprimé que les hommes le désir d’être pris en charge par des professionnels de la psycho-traumatologie (ce que l’on retrouve dans la pratique générale de la psychothérapie). Conclusion : Tout le monde n’est pas susceptible de souffrir d’un ESPT.

Néanmoins, les enfants, les femmes, les personnes issues de familles problématiques ou de sociétés qui les soutiennent peu, ou de peuples ayant une histoire où les persécutions ont été fréquentes, sont en risque de développer ce syndrome lors de la survenue d’un traumatisme grave. A notre époque, où les perturbations climatiques se manifestent de plus en plus, où les Société Française de Psychologie www.sfpsy.org 4 agressions de toutes sortes semblent se multiplier sur les plans familial et social, voire mondial (terrorisme, guerres), un travail de prévention s’impose au niveau des populations fragiles afin que ce fléau s’atténue.

 

Source : Société française de psychologie