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Je suis toujours en retard!

Je suis toujours en retard !

Etre à l’heure est un défi insurmontable pour certains. Qu’est-ce qui les pousse à mettre ainsi les autres “en souffrance” ? Quel message veulent-ils faire passer en se faisant tant désirer ?

 

Pourquoi ?

Le retard a toujours plusieurs sens, indique le psychanalyste Jean-Pierre Winter. Mais il existe selon lui un dénominateur commun aux différentes formes de retard : celui ou celle qui se fait attendre « brille » par son absence. « Par son retard, la personne s’impose déjà, puisque, pendant qu’il attend, l’autre ne cesse de penser à elle », ajoute le psychanalyste.

Susciter le désir
Par son comportement, le retardataire impose un jeu de séduction. Ce peut être une convention socialement admise, comme le rituel quart d’heure de retard que s’accorde la femme pour un rendez-vous amoureux. Mais il peut aussi être le reflet d’une attitude plus perverse qui consiste à obliger l’autre à penser à soi. « En tant qu’objet manquant, le retardataire veut être cause de désir », précise Jean-Pierre Winter. Son comportement est alors l’expression d’un fort narcissisme, qui l’empêche de considérer l’autre avec respect.

Mettre en souffrance
Dans le langage courant, « mettre en attente » se dit également « mettre en souffrance ». En arrivant en retard, la personne place l’autre en situation d’inconfort, jusqu’à ce qu’elle apparaisse et le soulage alors de cette « souffrance ». Le retard devient l’apanage du pouvoir. L’illustration la plus évidente est celle donnée par le médecin, maître dans l’art de faire patienter en salle d’attente. Mais lorsqu’il est infligé en dehors du cadre professionnel, le retard devient symptomatique d’un désir de puissance sadique : en libérant l’autre de l’attente, la personne s’impose comme son sauveur, alors même qu’elle en a d’abord été le bourreau.

Rétablir un équilibre
Moins machiavélique et plus névrotique est le comportement de celui qui aimerait être à l’heure, mais qui, malgré ses efforts, n’y parvient pas. « Cela a à voir avec l’histoire de chacun, explique la psychothérapeute Agnès Payen de la Garanderie. C’est au travers de l’analyse et par la mise en mots que le sujet découvrira les origines de son comportement. » L’un de ses patients, né sept mois après le mariage de ses parents, s’était toujours entendu dire qu’il était prématuré. Pour faire entendre que c’était un mensonge, son inconscient l’incitait à rétablir l’équilibre en étant toujours en retard.

Fuir ses peurs
Le retard peut exprimer une peur : aborder une situation, se confronter à une personne, etc., mais aussi peur du vide. « Tant que l’on est dans l’attente, on est dans l’imaginaire, souligne Agnès Payen de la Garanderie. Dès que l’on passe à la réalité, il y a le vide. » « Ou l’échec », ajoutent Jane B. Burka et Lenora M. Yuen, psychologues et comportementalistes. Il n’est pas rare que les retardataires soient, paradoxalement, de grands perfectionnistes. Souffrant d’une faible estime de soi et d’un manque de confiance, « c’est pour éviter de finir perdants qu’ils fuient les situations qui les obligeraient à se mesurer à d’autres ».

Accumuler des retards devient alors symptomatique d’une angoisse vis-à-vis de la pression sociale et familiale de la réussite. Les psychologues constatent d’ailleurs que « la mauvaise habitude du retard a souvent été prise durant la scolarité, première expérience de compétitivité pour l’enfant ».

 

QUE FAIRE ?

Identifiez la nature de votre retard
Soyez attentif à ce que vous ressentez lorsque vous arrivez en retard. Vous êtes angoissé ? Cherchez, seul ou avec un thérapeute, les causes de ces peurs. Vous êtes gêné et vous vous excusez ? Vous vous mettez en situation d’accusation. Par vos retards, vous créez les circonstances propres à être déconsidéré. Ce peut être le moyen de vous soulager d’une culpabilité inconsciente qu’une analyse vous aidera à identifier. Vous n’avez aucun remords ? Vous utilisez probablement ce comportement comme une arme de pouvoir ou de séduction.

 

Mettez-vous à la place des autres
Dans ce dernier cas, c’est le regard que vous portez sur vous et sur les autres qui est en cause. En vous mettant dans la peau de vos « victimes », vous prendrez conscience des torts que cette situation génère. Que ressentez-vous lorsque vous êtes à votre tour contraint d’attendre ? De l’impuissance, de la colère ? Quelle conséquence cette perte de temps entraîne-t-elle dans votre organisation ? La vanité et l’égoïsme qui vous autorisent habituellement à imposer vos retards seront blessés : vous redonnerez ainsi sa valeur à l’idée du respect d’autrui.

Apprenez à gérer votre temps
Etablissez et affichez devant vous un emploi du temps rigoureux en accordant la même importance visuelle à chaque rendez-vous. Surestimez le temps nécessaire pour vous y rendre : vous vous préparerez ainsi mentalement à la situation et apaiserez les éventuelles peurs qui, jusque-là, expliquaient vos retards.

 

Conseils à l’entourage

On peut accorder un ou deux retards à un proche. Mais continuer, sans rien lui dire, c’est devenir complice. Dans ce cas, soit on entre volontairement dans son jeu de séduction ou de pouvoir parce que l’on y trouve du plaisir, soit on reconnaît que c’est un symptôme. Et, selon sa capacité de tolérance vis-à-vis de cette manie, on choisit, ou non, de l’accepter. Tout dépend donc de ce que chacun est capable de supporter et de son désir de se prêter au jeu. Reste que, pour y mettre fin, la méthode à adopter est très simple : arriver à l’heure au rendez-vous fixé par le retardataire chronique et partir avant qu’il ne se soit fait attendre.

 

Témoignage

Aline, 63 ans, coach en entreprise : “Je ne pouvais imaginer l’anxiété de celui qui attend”

« Pendant quarante ans, j’ai été incapable d’arriver à l’heure : pour aller chercher mes enfants à l’école, pour mes rendez-vous professionnels, et même le jour de mes fiançailles ! Plus tard, mes enfants m’ont confié les inquiétudes que mes retards leur avaient causées. Mais j’étais incapable d’y remédier. Jusqu’à ce que je fasse une analyse jungienne et comprenne l’origine de ce comportement : durant la guerre, j’ai été placée chez ma tante pendant un an.

Très vite, j’ai adopté un double fonctionnement : j’étais à la fois dans l’attente et dans l’oubli de mes parents, car on ne me parlait jamais d’eux. J’en avais perdu la notion du temps. Surtout, ayant refoulé mes angoisses de cette attente, il m’était devenu impossible d’imaginer que celui qui m’attendait pouvait être anxieux ou énervé. »